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En Afrique, notamment subsaharienne, le nombre d'éditeurs augmente au même titre que celui des éditions. Pourtant la diffusion reste le parent pauvre de la chaîne de production du livre.
«De toute évidence, les moyens à déployer pour mieux faire circuler le livre pose problème, la diffusion-distribution étant le maillon faible de la chaîne de production du livre», estime Abid Nouri, président de l'Union des éditeurs tunisiens et maghrébins.
Par le passé, relève-t-il, les gouvernements et les Etats se chargeaient de cette mission qu'est l'édition, mais aujourd'hui ils ont cédé l'essentiel de cette activité au secteur privé, alors que le livre demeure un outil fondamental de sensibilisation et de promotion sociétale.
Pour ce patron d'une maison d'édition en Tunisie, il faudrait faire en sorte que le livre ne soit plus perçu comme un bien économique. «Les investisseurs eux-mêmes n'imaginent pas que le livre puisse être un bien marchand».
Même son de cloche chez Mariame Kanté, éditrice sénégalaise pour qui le déficit en matière de distribution du livre est la grande problématique à laquelle font face les maisons d'édition africaines.
«Au Sénégal, on compte seulement deux bibliothèques situées dans la capitale Dakar», a-t-elle fait observer.
«Le réseau de libraires est inexistant ou peu développé: il y a des livres mais il y a un grand problème de disponibilité. Les ouvrages ne sont pas bien distribués dans les villes et encore moins dans les zones rurales», déplore-t-elle.
Selon elle, toute action de promotion du secteur de l'édition à l'échelle de l'Afrique doit avoir pour préalable un effort d'intégration régionale des Maisons d'édition. «Si l'on ne peut pas parler de distribution du livre sénégalais dans les pays frontaliers, comment voulez-vous qu'on y pense pour ce qui est du Maghreb et du reste du continent», se demande-t-elle.
De son côté, l'éditeur marocain Abdelkader Retnani plaide pour la promotion et la mise à niveau du réseau des librairies et bibliothèques, estimant que «c'est justement le manque de professionnalisme au niveau des libraires qui freine pour beaucoup la circulation du livre».
Selon lui, les instances concernées sont appelées à remédier à cette situation en procédant à la création de nouvelles bibliothèques dans différentes régions, autres que celles de Rabat et de Casablanca. «La mise à niveau des librairies, ce maillon faible de toute la chaîne, permettra à coup sûr de mieux faire connaître l'auteur marocain, non seulement au Maroc mais aussi dans d'autres pays, et favorisera la commercialisation de ses ouvrages», suggère M. Retnani.
En matière d'édition, le marché le plus captivant reste le manuel scolaire qui représente 90 pc du chiffre d'affaires, indique pour sa part Ange Félix N'Dakpri, président de l'Association des éditeurs ivoiriens, notant que «ce sont des ouvrages obligatoires et prescrits par l'Etat qui génèrent les recettes les plus importantes».
Les frais de financement, de fiscalité et de douane font que le livre africain est cher puisque les intrants ne sont pas tous détaxés, a-t-il expliqué, appelant à la mise en place de fonds de soutien à la création, la production et la diffusion.
Serge Dontchueng Kouam, directeur général de l'AES au Cameroun, a estimé de son côté qu'«en l'absence d'infrastructures pour la profession, l'éditeur doit être constamment soutenu par les instances de tutelle».
Abondant dans le même sens, M. Ndiaye a souligné que «les politiques du livre dans les pays d'Afrique subsaharienne ne sont pas encore systématisées, et sans l'édition scolaire, le travail de d'éditeur est très difficile».
La coopération Sud-Sud est-elle la solution? L'étroitesse du marché africain et la quasi-absence de réseaux régionaux de l'édition, combinés à l'inefficacité de certaines politiques nationales du livre et au manque de capitaux, freinent l'émergence d'une véritable industrie du livre. La promotion de la coopération entre les pays du continent semble être le meilleur remède, selon certains professionnels africains.
«L'Afrique a toujours été une terre d'accueil des livres étrangers», a assuré Serge Dontchueng Kouam,. « Il est temps que cette situation change. Et pour ce faire, il faut professionnaliser le métier et s'adapter au marché international pour réussir la coopération aussi bien Sud-Sud que Nord-Sud «, a-t-il estimé.
Il a expliqué que les coûts peuvent être ramenés à des proportions raisonnables par le biais de la promotion de la coproduction et de la coédition dans le cadre de partenariats entre les Maisons d'édition africaines.
L'intégration régionale peut aider à résoudre certains problèmes tant elle constitue le garant de l'élargissement du marché, affirme le Sénégalais Ndiaye, déplorant toutefois que l'Afrique reste toujours subdivisée en plusieurs zones linguistiques (francophone, anglophone, lusophone..).
«L'intégration régionale pourrait être une vraie opportunité si elle est bien conçue puisqu'elle permettra d'échanger les livres. Il peut y avoir même des transferts des compétences et des traductions», a souligné M. N'Dakpri, appelant à une profonde réflexion sur le transport des livres, une grande visibilité au niveau de toute la chaîne de production du livre et la mise en place d'un site-web pour présenter un catalogue exhaustif de la production africaine.
Autant dire que les éditeurs africains, longtemps à la traîne et en quête de professionnalisme, ne semblent pas manquer de dynamisme et surtout d'idées dans un marché mondial de plus en plus exigeant. |