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19 février 2010

Cinquantenaire des indépendances, Un camerounais écrit à Nicolas Sarkozy (suite et fin)

Je viens vous donner à lire un article publié dans le journal camerounais "le messager" du début du mois de février, à l'heure où on parle beaucoup des 50 ans des indépendances de 17 pays africains plus particulièrement les ex colonies françaises et belges et du coup d'état au Niger qui semble poser avec acuité la question de la démocratie en Afrique.

Cinquantenaire des indépendances,  Un camerounais écrit à Nicolas Sarkozy (suite et fin)

Par leopold.chendjou |     Mercredi 3 février 2010 | Le Messager

 

Les indépendances !

Anticipant sur les impondérables insurrectionnelles comme il savait si bien le faire, après avoir vainement réprimé dans une singulière violence toutes les velléités d’émancipation de ses colonies, faisant de victimes par centaines de milliers, le Général de Gaulle, dont vous vous réclamez, cède aux sirènes des indépendances, mais non sans avoir conçu et mis en branle ce sinistre système qui perdure et qui va désormais de paire avec la Ve République. Il a su détecter les indigènes les mieux à même d’intégrer la doctrine coloniale de la République et en faire des disciples assermentés. Piteusement acquis à la cause de la République, ces derniers partageront désormais avec elle la rente liée à la dette — pudiquement ou plutôt, cyniquement appelée « aide au développement » — et au pillage des ressources naturelles, des accords de coopération économique, financière et monétaire [en plus d’accords politiques, militaires et de défenses], ainsi que des accords sur les matières premières dites stratégiques ; engageant de facto des peuples innocents dans une sinistre dynamique de tragédie faite de misère, de médiocrité et d’abrutissement. La mayonnaise avait superbement pris ; le colonialisme mutait pour ainsi dire allègrement en néocolonialisme. Ainsi naquirent et prolifèrent sous suprême onction de la République, des régimes fantoches et diaboliques, ces dictatures des plus pernicieuses et des plus progrécides que votre pays dit des droits de l’Homme n’aura eu de cesse de parrainer au sein du concert dit des Nations, alors même que les populations dans leurs écrasantes majorités, ploient tragiquement sous le poids des misères des plus inconcevables des esprits dotés d’un minimum de sens civilisé. Votre pays apparaît à l’évidence comme étant le fidèle allié de ces régimes fantoches et despotiques, qu’il entend ainsi perpétuer obstinément. Et nouveauté des nouveautés, pour s’assurer les meilleures garanties de continuité, il a été instauré le concept de la succession génétique communément appelée succession dynastique. Le népotisme reste un exercice très français, c’est bien connu là-bas en Occident. Pas étonnant si les [ex]colonies subsahariennes de la République en font pratiques de prédilection. A en juger par les raccourcis que vous vous démenez sans retenue à ménager à votre bien adulé chérubin, Monsieur le Président, l’on comprend assez aisément les certitudes qui animaient le Prince du Gabon alors même que ce dernier s’engageait dans une épreuve électorale pourtant annoncée des plus tumultueuses et des plus incertaines… En somme, Monsieur le Président, ce n’est certainement pas un hasard si les sociétés francophones d’Afrique restent relativement les plus rétrogrades du continent, foncièrement antiélitistes. Les historiens estiment classiquement que la colonisation française n’a pas su former une véritable élite capable de gouverner les pays après l’indépendance, contrairement à la colonisation telle que réalisée par les Britanniques. Je dis non. Je m’inscris résolument en faux contre de telles flibusteries mémorielles. En vérité, Monsieur le Président, la colonisation française n’a jamais éprouvé la moindre volonté de former une quelconque élite capable de gouverner les pays après ces indépendances qui ne l’étaient bien entendu que de façade. Une authentique farce !

 

 

 

 

Aussi année après année, et particulièrement depuis une dizaine d’années maintenant, la France a su susciter une certaine inimitié auprès d’une jeunesse de plus en plus désabusée par les dictatures qu’elle parraine inconditionnellement. Et les tendances sont désormais implacables. Si vos collaborateurs de la Cellule Afrique de l’Elysée et ceux du Quai d’Orsay n’ont pas eu le courage de vous en faire état, je me charge volontiers de jouer bénévolement leur messager au détour de deux petites vérités non moins suffisamment loquaces sur la physionomie probable de l’élite intellectuelle d’Afrique dans les années à venir :

∑    Les étudiants africains des pays francophones qui désirent poursuivre leurs études en Occident optent désormais de préférence pour l’Angleterre, les Etats-Unis ou encore le Canada. Vous constaterez que la Belgique qui a également fait ses preuves avec un certain talent au Rwanda et au Congo-Kinshasa, est lotie dans la même enseigne que votre pays aux yeux de la nouvelle jeunesse des étudiants africains.

Chose à la mode, les parents avisés orientent désormais précocement leurs progénitures dans les cursus scolaires anglo-saxons.

Je veux bien croire que la prééminence de l’anglais sur la scène mondiale explique un tel phénomène qui tranche notamment avec l’immigration clandestine contre laquelle votre gouvernement se démène sans jamais comprendre que la déferlante dérive exclusivement de ces sinistres gouvernances en vigueur dans vos prés carrés africains. Et je ne saurais oublier ici le regard que portent à présent de pauvres citoyens africains sur vos expatriés plus ou moins innocents, désormais amenés selon vos propres consignes, à observer la plus stricte des prudences au quotidien pour ne pas s’offrir aux rancoeurs souvent ambiantes. Aussi humainement inacceptable soit l’expression des rancoeurs dans toutes ses formes, il n’en reste pas moins vrai que votre pays, lourdement impliqué dans les maux qui accablent la jeunesse dans ses [ex]colonies d’Afrique subsaharienne, reste responsable et coupable d’une politique d’ingérence tout autant humainement inacceptable. Et vous avez, bien entendu, le choix de continuer comme c’est le cas, à miser sur l’abnégation des dictatures et leurs milices pour maintenir de pseudos paix, à grand renfort de vos escadrons sous couvert des accords dits de défense. Au demeurant, il va s’en dire, Monsieur le Président, que du fait de la politique de prédation et de sujétion qui a toujours été celle de la France à l’égard de ses [ex]colonies d’Afrique subsaharienne, la jeunesse africaine frustrée et désabusée, s’éloigne, génération après génération, lentement mais sûrement, de votre pays et pire, de sa culture qu’elle assimile dorénavant à sa politique jugée pernicieuse, résolument progrécide.

La Françafrique pour toujours !

Après l’esclavage, la colonisation, les crimes politiques et les guerres sur les sols africains au moment même des indépendances supposées, arrive la Françafrique avec son cortège des crimes contre l’humanité. La République perpétue avec grand entrain ses sinistres exactions. Les intérêts privés priment sur les intérêts des peuples africains. Monsieur le Président, puis-je vous rappeler que peu après votre accession à la Magistrature suprême vous avez prononcé un discours annonçant la fin de la Françafrique dont je vous concède ici le mérite d’avoir si explicitement et officiellement reconnu l’existence. Permettez-moi cependant de constater à présent que c’est exactement l’inverse qui se produit ; même si personnellement je n’avais absolument accordé le moindre crédit à votre annonce. Au Togo, Gabon, Tchad, Congo-Brazzaville ou encore au Cameroun, pour ne citer que ces bananeraies, des exemples sont là pour attester que la rupture que vous prônez, relève de la pure rhétorique politicienne. Mieux, au lieu de mettre fin à la Françafrique, votre arrivée aux affaires a permis de décomplexer une pieuvre qui ne recule désormais devant rien, sans vergogne. A vrai dire, même les Africains les plus naïfs ne vous croient plus. Et ce n’est certainement pas votre cher ami Monsieur Bolloré qui me démentirait… Il est de ces exemples qui ne passent pourtant pas inaperçus, Monsieur le Président. L’Italie qui a effectivement foutu le camp en Libye depuis des lustres, va verser cinq milliards de dollars en dédommagement de la colonisation de ce pays. Qu’en dites-vous, Monsieur le Président ?

Vous me permettrez, Monsieur le Président, de vous raconter un petit fait-divers que j’ai vécu au Cameroun et que j’estime à bien des égards expressif. Par une nuit, attablé dans un restaurant à Yaoundé, je visionnais le journal de vingt heures sur la Première chaîne de votre pays. Journal au cours duquel j’ai eu l’occasion de constater l’élan de solidarité manifesté par les Français à l’endroit d’un petit garçon burkinabé, le nommé Idrissa Koanda, qui a ainsi pu bénéficier dans votre pays, d’une intervention chirurgicale sans laquelle il était de toute évidence condamné à une disparition certaine. Une cliente non loin de moi, visiblement séduite, ne put taire à son compagnon Blanc, très probablement un coopérant avec qui elle s’était attablée à grand plat de « caviar », sa vive admiration pour la France, pour la « générosité à l’endroit de l’Afrique ». Aussi étrange que cela pourrait logiquement vous paraître, Monsieur le Président, c’est à peine si j’ai pu contenir la vague de tristesse qui inondait mes sens… Et le respect qu’elle manifestait pour son plat, l’application et l’élan d’appétit qui étaient les siens, insinuaient sans ambiguïté qu’elle revenait de loin, sinon de très loin. A s’y méprendre, cette demoiselle ferait bien partie du cortège des victimes, cette jeunesse littéralement passée à la moulinette de la Françafrique, au compte de pertes et profits d’un système qui broie implacablement par milliers ces âmes dont le crime reste celui d’être issues des [ex]colonies de la République. A présent qu’elle semble s’agripper avec une certaine ténacité sur le radeau parachuté de lointain à dessein de jouir aussi de la manne qu’offre le luxuriant pré des Tropiques, elle s’imaginerait aisément au Paradis. Non pas qu’elle se sentirait véritablement au Paradis, elle se savait surtout péchée fortuitement de l’enfer tropical. Fût-il provisoirement !

Monsieur le Président, puis-je vous assurer que je ne porte pas malgré tout votre pays, la France, pour responsable final de la tragédie qui prévaut actuellement dans ses [ex]colonies d’Afrique subsaharienne. Non. Car ces pays, contre vents et marées, disposent désormais et parfaitement de tous les moyens de se déterminer véritablement par eux-mêmes et de fait, ils ont le plein choix de s’enliser tragiquement dans la pernicieuse politique de prédation qui a toujours été celle de votre République, de se complaire à cette funeste servitude datant de l’épopée esclavagiste et dans ce cas, n’ayant donc piteusement rien compris de l’essence même de la Raison humaine en opposition à la Bestialité humaine, ou alors ils se résolvent une fois pour toute à s’en affranchir et bâtir de nations dignes dans le genre, résolument engagées dans la voie du progrès social et de développement, tout au moins à l’image des Dragons et Tigres asiatiques. Je me demande cependant si dans l’histoire de l’humanité, outre le peuple Noir lui-même, il exista une République qui aura autant que la France œuvré si négativement pour l’image de l’Homme Noir dont vous avez vous-même pris le soin d’établir ce qui est à vos yeux le profil psychosociologique, à travers notamment votre fameux discours de Dakar sur « l’Homme africain ». A interroger l’Histoire, j’en doute, Monsieur le Président ! La France a pourtant su rester opportuniste pour s’approprier certains pseudos tournants historiques, assez souvent inéluctables, pour ainsi se targuer d’avant-gardiste sur les droits humains. Je pense surtout à l’abolition de l’esclavage, dont on sait à la faveur de la révolution industrielle qui rendait déjà inutile la main d’œuvre servile, ou encore à la déclaration universelle de droit de l’Homme qu’elle a abritée en grande pompe, et dont la question, du moins à travers le prisme du racisme, n’aurait probablement jamais dû être posée, si l’Occident [principalement] avait été habité par un certain esprit civilisé.

Et le racisme au cœur de la République

Tout comme vous, Monsieur le Président, les Noirs de nationalité française sont issus de l’immigration. Peuvent-ils pour autant légitimement éprouver ces aspirations qui ont été les vôtres et qui vous ont si royalement mené à la Magistrature suprême de votre pays ? Où sont-ils, les Noirs de votre République, Monsieur le Président ? Quelles positions occupent-ils sur l’échiquier politique national, et dans la société tout court, à comparer ne serait-ce avec ceux des pays au passé colonial tout aussi sinistrement étoffé que le vôtre ? Aussi la récente promotion de Monsieur Harry Roselmack comme premier présentateur Noir du Journal télévisé sur la Première chaîne, ou encore celle de Monsieur Pierre N’Gahane au titre de premier Préfet Noir de l’histoire de votre pays, avaient des airs des premiers pas de l’Homme sur la lune !… Sale épopée pour une communauté dont les ancêtres ont également et si généreusement versé de leur sang à dessein commun de libérer la République de la barbarie nazi !… La France n’est pas raciste ! C’est vrai qu’on ne lynche pas là-bas, du moins pas impunément. Si je ne m’abuse cependant, ce n’est sans doute pas un hasard si, il y a quelques années, votre pays en était arrivé à un doigt de voter un texte de loi acquis à l’apologie de la colonisation. Rien de moins ! Et plus encore, plutôt que d’affronter la problématique des discriminations si criardes dont sont victimes les minorités dites visibles dans votre pays, vous préférez sans surprise la continuité. Vous optez ainsi pour la perpétuation de ces subterfuges et autres stratagèmes de diversions dignes des grands classiques de votre République. Et votre génie éclairé de suggérer entre autres l’opportunité d’un débat républicain sur l’identité nationale, comme si chez vous dans votre pays, rien ne pouvait aller de soi, de bon sens, et qu’il faille absolument s’en remettre au verdict d’une société déjà mécaniquement articulée autour d’une culture de la différenciation, sur une question qui n’aurait pourtant guère droit de cité dans un environnement civilisé. Qu’on se le dise, un débat républicain sur l’identité nationale n’est en vérité rien d’autre qu’un exercice [national] de stigmatisation à l’effet direct de nourrir davantage les discriminations à l’encontre des « minorités visibles ».

En guise de conclusion, Monsieur le Président, je pense bien entendu que ce n’est pas ce sombre tableau de l’histoire de la République que vous et votre pays célébrez en cette année dite du cinquantenaire des indépendances des pays francophones de l’Afrique subsaharienne. Mais quel que soit le motif improbable de cette célébration, si vous pouvez au nom de la France, cinquante années après « les indépendances », regarder l’état de vos [ex]colonies de l’Afrique subsaharienne et en être intimement fier, alors, de Raison, vous et votre République avez sans doute de réels motifs de célébrer un événement heureux, au même titre qu’un parent qui célèbre le cinquantième anniversaire de son propre fils qui excelle désormais dans ces tares et turpitudes auxquelles il l’aura soigneusement prédestiné. La graine qui aura été semée derrière les couleurs dites officielles, a germé et poussé. Et tout cela a conduit à la prolifération de ces bananeraies des plus inégalitaires, des plus sinistres et des plus hideuses, qui portent pour l’éternité l’estampille du génie colonial de votre pays dit de Liberté, Egalité, Fraternité. La FRANCE.

 

Et comme je l’ai lu, Monsieur le Président, le programme de votre célébration prévoit un point d’orgue le 14 juillet prochain avec le défilé sur les Champs-Elysées des troupes de vos [ex]colonies, et surtout l’insigne honneur qui sera accordé à vos « homologues » des pays concernés, labellisés évidemment « démocrates », tout autant que vous !… Quoi qu’il en soit, Monsieur le Président, j’ose espérer, dans le sillage d’un colloque universitaire propre au génie intellectuel français, et de protocole et discours dont votre République maîtriserait le mieux la science, en savoir significativement sur un événement qui mérite à vos yeux, célébration plutôt que recueillement.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Président, les assurances de ma considération distinguée.

Badiadji Horretowdo

Ecrivain/romancier

© BH/janvier 2010

Email : contact@horretowdo.com

Site web: www.horretowdo.com

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